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Le jardin mystique

Le jardin mystique se rattache au premier des jardins, celui d’Éden. La tradition le situe en Mésopotamie. Avant la chute, l’Éden était un lieu de paix et de plaisir, de fécondité et de fragrances, enchanté par la musique de l'eau et des rires. Depuis les premiers royaumes d'Assyrie, les hommes ont toujours tenté de recréer ce « Paradis mystique ». C'est cette recréation dans l'univers chrétien du Moyen-Age que nous allons étudier.
  1. I. Les origines spirituelles du « jardin mystique » occidental

 

a) le jardin d’Éden

L'étymologie du mot « Éden » provient de l’hébreu délices. En disant «jardin d’Éden», on revient à dire jardin des délices, expression conservée au Moyen-Age pour désigner ce paradis perdu  ou celui qui se gagne.

    Selon La Genèse (2,4-15, Bible de Jérusalem) :

    «Yahvé Dieu planta un jardin en Eden, à l'orient, et il y mit l'homme     qu'il     avait modelé. Yahvé Dieu fit pousser du sol toutes espèces d'arbres séduisant à voir et bons à manger, et l'arbre de vie au milieu du jardin, et l'arbre de la connaissance du bien et du mal. Un fleuve sortait d'Eden pour arroser le jardin et de là il se divisait pour former     quatre bras. Le premier s'appelle le Pishôn : il contourne tout le pays de Havila, où il y a l'or ; l'or de ce pays est pur et là se trouve le bdellium et la pierre de cornaline. Le deuxième fleuve s'appelle le Gihôn : il contourne tout le pays de Kush. Le troisième s'appelle le Tigre : il coule à l'orient d'Assur. Le quatrième fleuve est l'Euphrate. Yahvé  Dieu prit l'homme et l'établit dans le jardin d'Eden pour le cultiver et le garder.»

 

    Sa localisation a alimenté beaucoup de suppositions et de rêveries au cours du Moyen-Âge, et l’on raconte comment de nombreuses personnes partaient à la recherche de ce jardin perdu, parfois encore appelé le « royaume du prêtre Jean ». Le nom des fleuves, tantôt réels tantôt imaginaires a aussi beaucoup contribué à ces spéculations.

Carte du Jardin d'Eden.

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b5963506f 

Grâce à la  référence biblique, on peut comprendre la géographie du futur jardin mystique : la fontaine, souvent en matériaux précieux dans les représentations, symbolise la source puis sa division en fleuves.

    Les quatre fleuves sont symboliquement repris par un schéma qui partage le jardin en deux allées formant une croix au centre de laquelle se situe la fontaine.

    Par la suite, les textes sacrés évoquent la Chute (Genèse : 3,6-7 et 23-24 ibidem) :

    «La femme vit que l'arbre était bon à manger et séduisant à voir, et qu'il était, cet arbre, désirable pour acquérir le discernement. Elle prit de son fruit et mangea. Elle en donna aussi à son mari qui était avec elle et il mangea. Alors leurs yeux à tout deux s'ouvrirent et ils connurent qu'ils étaient nus. [...] [Dieu] bannit l'homme et il posta devant le jardin d'Eden les chérubins et la flamme du glaive fulgurant pour garder le chemin de l'arbre de vie.»

 

    C'est  à partir de ce passage que l'imaginaire chrétien construisit l'idée de la clôture de l'Eden : le jardin mystique sera aussi enclos.

Adam et Eve au jardin d'Eden : livre d'heures,

paris vers 1430.1440. parchemin,

manuscrits, Rothschild 2535.

http://images.google.fr/imgres?imgurl=http://classes.bnf.fr/candide/images/3/can_267.jpg&imgrefurl=http://classes.bnf.fr/candide/grand/can_267.htm&h=600&w=471&tbnid=MP2voVEMcci-mM:&tbnh=94&tbnw=74&docid=gj5a8YWMO4pnyM&usg=__002NiPjUWU5zAW3E-1oX_rUhIZ8=&sa=X&ved=0ahUKEwifjpb1gNfMAhWEbBoKHWZxB7cQ9QEIJzAB 

 

b) Le Cantique des cantiques

    La deuxième source d'inspiration du jardin mystique est le texte du Cantique des cantiques.

    D'après A. Robert, in la Bible de Jérusalem, «le Cantique des cantiques est comme le saint des saints de la Bible, lieu d'adoration chéri entre tous par les plus grands mystiques. […] chef-d’œuvre de poésie érotique, il proclame la sainteté du désir : autant un désir religieux qu'une religion du désir, qui en Dieu va de joie en espoir et de commencement en commencement, sans fin. […] de même qu'en l'amour s'éprouve une part d'éternité, de même à la fin des temps, quand Adam et Eve jouiront du Paradis à venir, et quand il ne sera plus question ni d'homme, ni de femme, l'humanité amoureuse de Dieu lui sera si semblable et si intime qu'elle même deviendra divine. »

 

    Ce texte fonde un chemin pour le retour en Eden par le moyen d'un amour plus terrestre qui sera courtois : la Dame devient un symbole de la Vierge dont le culte se développe à partir du XII ème siècle. Le jardin clos se charge de symboles de plus en plus forts. Ainsi parle le Cantique des cantiques (4, 7- 5,2) :

 

    «Tu es un jardin fermé, ma sœur, ma fiancée,

    Une source fermée, une fontaine scellée.

    Tes jets forment un jardin, où sont des grenadiers,

    Avec les fruits les plus excellents,

    Les troènes avec le nard ; »

    […]

    « Une fontaine des jardins,

    Un jardin d'eaux vives,

    des ruisseaux du Liban.

    Lève-toi, aquilon ! Viens, autan !

    Soufflez sur mon jardin, et que les parfums s'en exhalent !

    -Que mon bien-aimée entre dans son jardin,

    Et qu'il mange de ses fruits excellents !

    J'entre dans mon jardin, ma sœur, ma fiancée.

    Je cueille ma myrrhe avec mes aromates,

    Je mange mon rayon de miel avec mon miel,

    Je bois mon vin avec mon lait...

    -Mangez, amis, buvez, enivrez-vous d'amour ! »

 

    La bien-aimée invite son amour à entrer dans son jardin pour manger de ses fruits exquis. Il y vient pour recueillir sa myrrhe avec ses aromates, manger son miel et boire son vin. Ce jardin, comme le vignoble, le verger ou le champ, symbolise le corps, plus précisément, la sensualité.

    Entrer dans ce paradis amoureux, dans lequel sentir ces fragrances et savourer ces délices symbolisent le désir et le plaisir, c’est se souvenir de l'Eden délicieux. Cueillir ses fruits, c’est jouir d'une présence divine, c'est embrasser une pensée qui s'incarne et que l'on savoure sans « chuter ».

 

    Le Cantique des cantiques permet aussi de comprendre l'organisation « botanique » du jardin mystique : par ses références orientales, il valorise des plantes pas toujours endémiques sous nos latitudes mais qui figureront toujours dans les images du Moyen-Age. Ces plantes seront souvent acclimatées dans les jardins des monastères.

 

  1. II. L’interprétation médiévale.

  2.  

a) Dans les monastères : le jardin de Marie et le « paradis ».

 

    Le jardin mystique devient au Moyen-âge une allégorie de l'Eglise, présidée par la Vierge. Dans ces jardins de l’innocence, les jardins de Marie, les fleurs étaient elles-mêmes des symboles.

    On connaît ces jardins imaginaires par leurs descriptions dans la littérature médiévale. Le jardin enchanté, dans Erec et Enide de Chrétien de Troyes, est un paradis de fruits et de fleurs immortelles...

    Dans le Roman de la Rose, un guide de l'art d'aimer, de l'amour courtois, commencé en 1220 par Guillaume de Lorris et complété ensuite par Jean de Meung nous est présenté un jardin mélange d'imagination et de réalité.

Le monastère, isolé des tentations du monde, enveloppé de silence, est l'image par excellence du paradis. Les moines y cultivent les vertus, s'abreuvent à la fontaine des Écritures, y butinent comme des abeilles les fleurs et les fruits des vertus afin d'assimiler le nectar et le miel de la parole de Dieu. Et la sainteté exhale les plus délicieux parfums.

    Au centre du monastère, le cloître est la première image de ce jardin mystique ou hortus conclusus. Il concrétise l'une des aspirations profondes de la vie monastique : se retirer du monde, échapper à ses déceptions et à ses souillures, s'enfermer dans la claustration exigée par la règle.

    À la fin du XIIIe siècle, le théologien Guillaume Durand, évêque de Mende, en a dévoilé la symbolique profonde dans son Rationale Divinorum Officiorum :

    «Le cloître représente la contemplation dans laquelle l'âme se replie sur     elle-même et où elle se cache après s'être séparée de la foule des     pensées charnelles et où elle médite les seuls biens célestes. Dans ce     cloître il y a quatre murailles qui sont : le mépris de soi-même, le mépris     du monde, l'amour du prochain et l'amour de Dieu. Chaque côté a sa     rangée de colonnes. La base de toutes les colonnes est la patience. »

 

peinture du jardin de Marie.

http://images.google.fr/imgres?imgurl=http%3A%2F%2Fwww.rivagedeboheme.fr%2Fmedias%2Fimages%2Fmaitre.du.jardin.de.paradis.de.francfort..le.jardin.de.paradis.-v..1410-..jpg&imgrefurl=http%3A%2F%2Fwww.rivagedeboheme.fr%2Fpages%2Farts%2Foeuvres%2Fle-jardin-de-paradis-paradiesgartlein-v-1410-20.html&h=997&w=1280&tbnid=7G3dGp3_58xKRM%3A&docid=GPfYQ1vWdiDsQM&ei=KcM1V9iFIsOxaYeKr9gI&tbm=isch&iact=rc&uact=3&dur=181&page=2&start=17&ndsp=22&ved=0ahUKEwiYvsPJgdfMAhXDWBoKHQfFC4sQMwhUKBowGg&safe=strict&bih=607&biw=1117

b) Le jardin mystique.

Le jardin mystique (l’hortus conclusus) est directement inspiré du jardin biblique. C’est un jardin de rêve, jardin secret, porteur d’un puissant symbolisme religieux inspiré par la description de l’Épouse, la Bien-Aimée du Cantique des cantiques.

    Les représentations de ce jardin vont reprendre la combinaison d'arbres et de plantes bordant les murs et poussant dans le gazon pour mettre en évidence une tradition bien différente de celle des plantations limitées à de petits enclos géométriques bordés d'allées. On y voit la Vierge Marie  entourée d'anges, de saints et d'un concert d'oiseaux. S'y trouvent aussi de nombreuses espèces de fleurs telles que le muguet, les iris, les primevères ....

    La porte est gardée et les entrées sont surveillées. Les personnes y entrant cherchent un idéal.

Hortus Conclusus. 

http://www.la-vie-du-jardin.com/medieval/litter41.php  

Il exprime l’essence de la Vierge et résume ses beautés et ses perfections. Dans ces jardins présidés par la Vierge, les fleurs étaient elles-mêmes des symboles : la rose devenue au Moyen Age la fleur de la Vierge, le lys symbole de la chasteté et la violette, celui de l’humilité.

    Ainsi, les symboles chrétiens se métamorphosent en figures allégoriques du plaisir.

    L'exemple ci-dessus, représente un jardin mystique traditionnel. Ce jardin est fermé ;  à l'intérieur, peu de personnes. On peut voir que la porte est gardée.

    Sur les murs extérieurs sont peintes les figures de la Haine, de la Félonie, de la Convoitise, de l'Avarice, de l'Envie, de la Tristesse, de la Vieillesse, de l'Hypocrisie et de la Pauvreté qui n'ont aucun droit dans ce monde de la courtoisie. La porte y est étroite et presque dérobée et semble ainsi un symbole de l'inaccessibilité de la Dame.

    Ce jardin est agrémenté de fleurs et d’arbres, où les amants pouvaient cacher leur amour.

    Au milieu de ce jardin, on  trouvait un puits ou une fontaine, l’eau jaillissante et pure s’opposant aux eaux dormantes du péché.

 

Le cantique des cantiques, Chagall, huile sur toile, 1860.

http://images.google.fr/imgres?imgurl=http%3A%2F%2Fwww.esoblogs.net%2Fwp-content%2Fuploads%2F2009%2F10%2FChagall_Cantiques-des-Cantiques_3.jpg&imgrefurl=http%3A%2F%2Ftextespretextes.blogs.lalibre.be%2Farchives%2Ftag%2FAmour%2Findex-2.html&h=547&w=800&tbnid=JHo5VMda9e8umM%3A&docid=YqlaucHymhdi9M&ei=ncM1V72CKIS4aqiIucAP&tbm=isch&iact=rc&uact=3&dur=142&page=1&start=0&ndsp=16&ved=0ahUKEwj9xPGAgtfMAhUEnBoKHShEDvgQMwgoKAYwBg&safe=strict&bih=607&biw=1117 


Au fils des siècles, le jardin mystique a toujours alimenté les légendes de la sensualité, du paradis et du plaisir. Comme sur cette peinture ci-dessus, Chagall s'inspire du jardin mystique pour représenter les amants dans leur propre paradis.

Bibliographie

Tous les jardins du monde Gabrielle van Zuylen (Découvertes Gallimard art de vivre. 1994. 176 pages.)

La bible de Jérusalem Mame 2009   2555 pages.

 

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